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Coalition... Le dépistage universel des troubles de l’audition chez les nouveau-nés

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Extrait du numéro 212 de la revue Entendre : Le dépistage universel de la surdité chez les nouveau-nés

Hema Patel, Pédiatre généraliste universitaire, Hôpital de Montréal pour enfants

Introduction

Saviez-vous que la perte d’audition permanente est l’un des troubles congénitaux les plus courants ? Nombre de parents et même de médecins sont surpris d’apprendre que la perte d’audition permanente est plus répandue que le taux combiné des conditions pour lesquelles on effectue un dépistage systématique sur les nouveau-nés, comme l’hypothyroïdie congénitale et la phénylcétonurie. Les troubles de l’audition peuvent avoir plusieurs origines comme on le verra ci-dessous.

Si les enfants ayant une déficience auditive sont détectés tôt. S’ils ont également accès à des interventions directement après la naissance. Et cela avant même qu’ils ne présentent des signes de retard de la parole et du langage. Alors, leur potentiel d’apprentissage à long terme est significativement amélioré. Malheureusement, au Québec, le dépistage n’est pas systématique et le diagnostique arrive uniquement s’ils présentent des signes de retard de langage.

Retour sur les tentatives d’implantation du programme de dépistage

Le dépistage des nouveau-nés détecte facilement et avec précision les troubles de l’audition (voir tableau ci-dessous) et permet une intervention précoce et efficace. C’est pourquoi la plupart des pays développés ont de tels programmes de dépistage depuis des années. L’Ontario a mis en place un tel programme en 2002.

Au Québec, notre histoire est plus complexe.

  • Dès 2001, l’Ordre des orthophonistes et des audiologistes du Québec recommandait publiquement le dé- pistage des troubles de l’audition chez les nouveau-nés.
  • En 2004, le gouvernement demandait à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) d’évaluer les bénéfices et les coûts de la mise en place d’un tel programme.
  • En 2007, un rapport a été déposé et recommandait fortement l’implantation d’un programme de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés.

Dans les faits, les coûts estimés par l’INSPQ démontraient que le Québec économiserait de l’argent en implantant un vaste programme provincial puisque les bienfaits du programme sont supérieurs à ses coûts, surtout grâce à des économies sur le plan de l’éducation et de la vie professionnelle.

Coalition face au retard dans l’implantation du programme de dépistage

Un petit groupe de parents et de professionnels, dont je faisais partie, étaient inquiets devant le silence du gouvernement face à la recommandation de l’INSPQ. Nous étions alors conscients que le dépistage de la plupart de tous les enfants aux États-Unis et au Royaume-Uni – et même dans des plus petits pays comme la Pologne et le Qatar – était déjà en place. En 2007, le Québec accusait un retard de 5 ans sur l’Ontario. Le Nouveau-Brunswick avait également implanté un programme.

Il nous a semblé injuste qu’il y ait de si grandes différences d’une province à l’autre

Ainsi un enfant demeurant dans une province offrant le dépistage pouvait bénéficier de tous les gains à long terme grâce à un diagnostic et une intervention précoce, alors que nos enfants recevaient encore des soins dépassés.

En tant que pédiatre et parent d’un enfant sourd, cette problématique était très importante pour moi. Alors que mes propres enfants n’ont pu bénéficier d’un diagnostic précoce, le constat que le Québec ne semblait rien faire pour actualiser nos méthodes de soin me choquait. J’ai eu la chance de collaborer avec Mme Anne-Marie Hurteau, une audiologiste d’une expertise exceptionnelle et d’un grand dévouement quant au dépistage des troubles de l’audition chez les nouveau-nés ; de même qu’avec M. Claudio Bussandri, un important homme d’affaires, également membre du conseil d’administration du Centre universitaire de santé Mc Gill. M. Bussandri, ayant lui-même des problèmes de surdité, s’est senti vivement interpellé par notre projet et nous a aidés à développer une stratégie efficace de lobbysme.

Nous sommes passés d’un petit groupe de défenseurs à une coalition provinciale, dans laquelle l’AQEPA s’est fortement impliquée

Nous avons mené une campagne auprès du ministre de la Santé et nous avons fait pression pour obtenir une rencontre avec ce dernier. Lorsque nous avons finalement rencontré le ministre, il a admis que le dépistage précoce de la surdité devrait être implanté, ce qu’il a annoncé en 2009.

Nous avons espéré qu’un programme de haute qualité serait implanté au Québec pour 2010-2011, tout comme les excellents modèles déjà utilisés en Colombie-Britannique et en Ontario. Malheureusement, le processus de développement n’est toujours pas en place.

Chaque année, on entend que l’implantation est pour bientôt et puis elle est reportée

Un plan officiel de dépistage a été publié par le ministère de la Santé, en 2012. Nous avons demandé au ministre de nous expliquer pourquoi l’implantation prenait autant de temps. Les réponses reçues ne sont toujours pas claires et n’expliquent pas pourquoi il y a un tel retard.

En 2014, cinq ans après que le ministre de la Santé eut annoncé son intention d’implanter un programme, la majorité des nouveau-nés au Québec ne sont toujours pas dépistés.

La Coalition prend une ampleur canadienne

En tant que partie prenante de ce travail de défense, j’ai réalisé qu’il y avait d’autres provinces canadiennes, comme l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba qui n’offrent pas de dépistage des troubles de l’audition chez les nouveaunés. Alors que nous attendions l’implantation d’un programme au Québec, j’ai commencé à travailler avec des collègues de la Société canadienne de pédiatrie (SCP) pour accroître la sensibilisation à ce sujet et encourager le dépistage des troubles de l’audition pour tous les nouveau-nés canadiens.

Avec la SCP, nous avons publié notre positionnement en 2011 et celui-ci a été utilisé dans le « Report Card on Pediatric Health ». Notre groupe de pression a pris de l’ampleur et est passé d’un groupe provincial à un groupe national.

Tous les nouveau-nés canadiens méritent des soins de santé de même niveau et de très haute qualité. De concert avec les dirigeants de Orthophonie et Audiologie Canada (OAC), de l’Académie canadienne d’audiologie et le SCP, nous organisons une conférence de presse sur la Colline parlementaire à Ottawa pour sensibiliser le public et le gouvernement fédéral sur les inégalités dans la détection précoce et les interventions à travers le Canada2. Québec est à la veille d’obtenir une mauvaise note pour son programme d’implantation.

Incidences sur l’avenir des enfants

Ce travail de défense a été demandant mais gratifiant. J’ai bénéficié de la collaboration d’un groupe de personnes dévouées et d’organisations remarquables. La plus grande leçon que j’ai retenue est de ne pas reculer lorsque la cause est juste. Nos nouveau-nés présentant des troubles de l’audition ne peuvent se défendre eux-mêmes. Ils ne peuvent pas non plus réclamer un diagnostic précoce qui pourrait pourtant contribuer à optimiser le développement de leur cerveau, de leur parole et de leur langage. Il nous appartient donc de le faire.

De plus, si nous les dépistons tôt grâce à un processus standardisé et d’intervention précoce, tout leur avenir pourrait en être amélioré. L’enfant en profiterait, sa famille également et, ultimement, toute la société. Continuons à travailler ensemble jusqu’à ce que tout le Québec et tous les nouveau-nés canadiens soient dépistés.

Références

  • H. Patel, H. et Feldman, M. (2011). Universal new hearing screening. Position statement of the Canadian Pediatric Society. Paediatrics & Child Health, Vol, 16, No 5.
  • INSPQ (2008). Le dépistage de la surdité chez le nouveau-né : évaluation des avantages, des inconvénients et des coûts de son implantation au Québec, Québec 205 p.
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