Vivre avec la surdité

Le dépistage précoce de la surdité : une révolution… et de nouveaux défis

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Extrait du numéro 212 de la revue Entendre : Le dépistage universel de la surdité chez les nouveau-nés

Louise Duschesne, Ph.D., orthophoniste, Professeure adjointe du département d’orthophonie à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Bien des études l’ont démontré : il y aurait des avantages mesurables à effectuer un dépistage précoce de la surdité. Dans les sociétés développées, la surdité chez l’enfant est perçue comme une « situation médicale urgente ». Il est important d’exploiter au maximum la plasticité du cerveau du jeune enfant, de pallier l’audition déficiente dès que possible et stimuler rapidement l’audition et le langage. Tout cela afin d’éviter la possible cascade de difficultés (développement du langage et des sons de la parole, réussite scolaire, inclusion sociale, perspectives d’emploi) qui peuvent découler de cette incapacité sensorielle.

Une révolution

Le dépistage néonatal amène une véritable révolution dans la façon dont les parents découvriront dorénavant la surdité de leur enfant. Avant, les parents pouvaient s’inquiéter pendant un certain temps avant de réaliser la surdité de leur enfant ; plusieurs ont même pu être momentanément rassurés par un médecin bienveillant ou un proche qui leur aurait dit de ne pas s’inquiéter. Avant le rendez-vous fatidique, de nombreux mois pouvaient s’écouler. Les parents pouvaient tergiverser, reporter le rendez-vous, voire l’annuler, voyant que leur enfant semblait tout à coup babiller davantage ou réagir à certains sons.

Apprendre la surdité de son enfant, quel qu’en soit le moment, est toujours un choc psychologique important pour un parent. Le fait de savoir très tôt que son enfant est sourd n’amoindrit pas ce choc. Cela n’atténue pas non plus le sentiment de perte. Le choc survient seulement plus tôt. Par contre, certaines recherches ont montré que le fait d’obtenir un diagnostic précoce pouvait permettre d’amoindrir le sentiment de culpabilité (de ne pas s’être aperçu plus tôt que leur enfant était sourd) que peuvent vivre des parents dont l’enfant a été dépisté plus tard.

Que le diagnostic soit précoce ou non, plusieurs parents vivront un sentiment d’injustice (pourquoi ça nous arrive à nous ?). La famille sera soumise à de nombreuses sources de stress. Il y a tant de choses à faire à partir de maintenant : l’ajustement des prothèses auditives, la référence en implant si le degré de surdité le justifie, l’inscription au centre de réadaptation et les premiers rendez-vous.

Dans tous les cas, l’inquiétude s’installe : que va devenir mon enfant ? Va-t-il apprendre à parler ? Ira-t-il à l’école régulière ? De quoi l’avenir sera-t-il fait ? L’annonce d’un diagnostic de surdité peut momentanément créer une barrière de communication entre le parent entendant et son enfant sourd. Le parent « ne reconnaît plus » son enfant, ne sait plus comment l’approcher, ne sait pas s’il doit continuer à lui parler (il n’entend pas !), s’il doit se mettre à signer…

Avec le dépistage néonatal, le fait de « savoir » très tôt, fera en sorte que la surdité fera partie intégrante de la formation de la relation entre le parent et son enfant.

La recherche ne nous a pas encore éclairés sur l’impact d’un diagnostic précoce sur le développement de la relation parent-enfant. Par contre, plusieurs centres de réadaptation ont déjà développé des groupes parents-bébés. Ils visent notamment à l’établissement d’une communication naturelle entre l’enfant sourd et son parent entendant.

Des attentes élevées

Le dépistage néonatal crée également de nouvelles attentes. Notamment en termes de développement du langage et des sons de la parole. Le fait que le discours ambiant, influencé par le milieu biomédical, ait quelquefois tendance à associer le dépistage précoce de la surdité à celui d’une maladie peut faire en sorte qu’un parent voit la suite du processus comme une démarche vers la guérison.

C’est d’ailleurs ce que suggère une recherche de 2007, où des parents ont mentionné s’attendre à ce que leur enfant développe « normalement » sa communication (c’est-à-dire comme un enfant entendant), puisqu’on avait réussi à « attraper » la surdité très tôt. C’est oublier la complexité de la surdité et ses impacts sur l’apprentissage, la grande variabilité entre les individus et les nombreux facteurs qui entrent en jeu dans le développement du langage. Il n’en demeure pas moins que le portrait global du développement de la communication des enfants sourds est beaucoup moins sombre qu’il y a 20 ans. C’est en grande partie grâce aux avancées technologiques : prothèses auditives performantes, implants cochléaires.

Il est légitime pour un parent d’avoir des attentes élevées. Les intervenants, quant à eux, ne peuvent rien promettre, même chez un enfant dépisté à la naissance. Par contre, tout le monde peut désormais être optimiste.

Enfin, le diagnostic précoce pourra créer chez certains, un sentiment d’urgence. Il ne faut pas perdre une journée sans amplification, ne pas perdre une semaine sans intervention… Les parents devraient toujours prendre le temps de s’informer et de réfléchir aux options qui s’offrent à la famille en termes d’outils pour la communication, de poser des questions aux intervenants, voire d’essayer des approches pour favoriser le développement de la communication. Chaque situation familiale est unique : une même recette ne peut s’appliquer à tout un chacun.

Dans certains pays où le dépistage néonatal est pratique courante, on a vu émerger de nouvelles considérations pour les familles. Le dépistage a certes créé des opportunités nouvelles en termes de développement du langage. Mais certaines études rapportent que cet accent mis sur le développement de l’audition et du langage a pu reléguer au second plan d’autres éléments comme la qualité de vie de la famille et la qualité de la vie de famille. Les parents doivent demeurer vigilants face à la pression qui peut s’exercer sur eux et sur leur enfant et préserver l’équilibre de la famille.

Références

  • Carr, G. & Young, A. (2013). L’accompagnement des familles d’enfants avec une déficience auditive dans le cadre d’un programme de dépistage de la surdité néonatale. Formation continue, Hôpital de Montréal pour enfants, avril 2013.
  • Young, A. (2010). The impact of early identification of deafness on hearing parents. Dans The Oxford Handbook of Deaf Studies, Language, and Education, vol.2 (M. Marschark et P.E. Spencer, Éds.), Oxford University Press.
  • Young, A. & Tattersall, H. (2007). UNHS and early identification of deafness: Parents’ responses to knowing early and their expectations of child communication. Journal of Deaf Studies and Deaf Education, 12(2), 209-220.
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