Extrait du numéro 218 de la revue Entendre « l’équilibre en famille »
Jacques Dauplaise, M.A., psychologue, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île de Montréal,Institut-Raymond-Dewar
Comment faire en sorte que les parents ne se sentent pas des parents-thérapeutes?
Je crois qu’il n’y a pas de réponse unique à cette question. Je me propose de partager avec vous quelques éléments de réflexion issus de mon expérience clinique. Permettez-moi d’abord de situer cette préoccupation. Je travaille depuis plus de trente-trois ans auprès d’enfants ayant un problème auditif et de leurs parents, je suis concerné quotidiennement par leur vécu particulier.
Je me souviens très clairement d’un événement survenu lors de ma première journée de travail au programme Petite enfance : j’observe une fillette qui a un problème auditif et qui partage un jeu avec son orthophoniste. Cette dernière lui demande de mettre un éléphant sous la table. La fillette se tord les mains, joue avec ses doigts, hésite… La maman de la petite est derrière la fenêtre d’observation, à mes côtés. Elle présente un peu la même attitude que sa fille. Pendant ces quelques moments d’hésitation de part et d’autre de la fenêtre, l’anxiété est palpable : elle habite l’atmosphère dans laquelle nous baignons…
La fin de l’histoire importe peu car ce que je désire mettre ici en relief est contenu dans ces quelques instants d’une journée de cette dyade mère enfant. Tout est là : l’angoisse de la maman quant aux possibilités de son enfant, la crainte qu’elle a parfois que la petite fasse une erreur et que cela vienne confirmer un doute quant à ses capacités, l’anxiété d’une fillette très sensible aux attentes de sa maman, sa crainte de la décevoir, la peur de se tromper, peur qui la place dans un dilemme difficile où se confrontent sa logique et son monde de fantaisie : « Je sais qu’un éléphant ne peut aller sous une table. Par contre, je sais qu’ici, ce n’est pas la réalité, qu’il s’agit d’un jeu… ». Entre le cœur, le plaisir de jouer et la raison, l’importance de bien faire, la fillette hésite… et sa maman aussi.
Cette simple situation de quelques secondes se répétera combien de fois aujourd’hui?
Et demain? Et après demain?
Ces brefs instants sont vécus par la majorité des parents et des enfants qui, pour une raison ou une autre, doivent recevoir les services de thérapeutes impliqués dans le processus de réadaptation : audiologiste, orthophoniste, psycho-éducateur, ergothérapeute, psychologue… Pour les parents, en plus d’assumer les obligations de la vie courante, que de rendez-vous à prévoir! Tellement de choses à faire! Que de comptes à rendre! Tant de preuves à donner que l’on a bien « travaillé » avec notre enfant, que l’on est de bons parents, de bons « collaborateurs »…
Doit-on, à la limite, inscrire à côté de sa signature, « parentthérapeute »? L’agenda sous le bras ou dans le sac à main constitue souvent le livre de bord auquel se greffent des « annexes » : les prescriptions et les devoirs thérapeutiques. En effet, pour les parents d’enfants vivant avec une surdité, plusieurs personnes extérieures à la famille siègent dans les gradins; elles observent, évaluent, constatent… Il s’agit des différents thérapeutes qui veulent aider l’enfant et ses parents.
Chaque intervenant exprimera bien sûr ses attentes, formulera ses recommandations et évaluera les résultats de ses interventions. Tout un programme auquel on doit se soumettre mais qui apporte tout de même son lot de gratifications qui alimentent le quotidien. Tout un programme qui place cependant les parents dans une situation paradoxale : être à la fois les parents qui vivent leurs propres émotions et vibrent à celles de leur enfant en apprentissage et être les parents qui enseignent, montrent, rectifient… C’est dans ce contexte qu’évoluent les parents qui veulent, bien sûr, que leur enfant s’épanouisse au maximum de ses possibilités et ce, tant sur les plans affectif, physique que cognitif.
La juste place dans la cohabitation de ces rôles n’est pas toujours facile à déterminer. D’autant plus que les parents ont toujours en tête qu’il en va de l’avenir de leur enfant et qu’ils ont souvent l’impression d’être les seuls responsables des verdicts de progression ou de stagnation dans les différentes sphères de son développement.
Comment faire en sorte que tous les participants à cette grande aventure, et surtout l’enfant lui-même, y trouvent le plus de bonheur possible?
Comment, dans ce contexte, faire en sorte que la relation parents-enfant soit avant tout empreinte d’amour inconditionnel, de spontanéité et de plaisir partagé? Jusqu’où, comme parents, doivent-ils insister dans leurs exigences envers l’enfant, au niveau des aspects à travailler, tout en mettant l’accent sur les acquis? Et comme intervenants, jusqu’à quel point peut-on demander la collaboration des parents sans que ceux-ci se sentent des « cothérapeutes »?
Tel que prévu, je n’ai pas apporté de réponse unique à la délicate question de départ. Cependant, voici, à titre d’intervenant, des pistes de réflexion sur le concept d’intervention. Tous conviendront que les parents sont les êtres les plus importants et les plus significatifs pour un enfant. Ce que les parents apportent n’a aucun équivalent dans quelque thérapie que ce soit pratiquée auprès de l’enfant. Les parents doivent porter ces convictions; si tel n’est pas le cas, nous devrons les aider à les acquérir et à les maintenir.
Comment conserver cette juste mesure, celle qui permet à l’enfant d’être un enfant et aux parents d’être avant tout des parents?
Dans la mesure du possible, les devoirs thérapeutiques doivent s’inscrire dans une philosophie d’intervention empreinte de pragmatisme, où ils s’intègrent facilement à la vie quotidienne; à l’inverse, la vie de la maison devient un prolongement des différentes séances de thérapie dans lequel les moments de répit se font plutôt rares… tout comme ceux du plaisir de la relation parents enfant.