Vivre avec la surdité

La lecture labiale et ses limites

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Lorsque vous avez appris la surdité de votre enfant, une marée d’émotions et de questions vous ont envahi. Une des principales interrogations, et non des moindres : comment communiquerons-nous ensemble, du fait de sa surdité?

Dès lors, plusieurs outils se sont présentés à vous, et parmi eux : la lecture labiale.

Probablement qu’un soulagement s’est fait sentir : “Mon enfant me comprendra dans la langue que j’utilise et que je pourrai lui transmettre!”

Oui, mais attention : la lecture labiale n’est pas magique!

Comment fonctionne la lecture labiale?

L’appareillage ou l’implant, dites-vous? Oui, tout apport auditif représente une aide pour la lecture labiale, et inversement, mais il ne permet pas à l’enfant de “retrouver l’audition”. 
La technologie est d’une qualité variable selon l’environnement sonore : s’il y a beaucoup de bruit autour, les sons de la voix seront moins bien perçus. Les appareils ne permettent pas la discrimination auditive que peut faire naturellement l’oreille humaine dans le bruit, sans surdité. Pour les personnes sourdes, les sons demeurent plus ou moins partiels et déformés, en tout temps.

Vous, personne entendante, vous comprenez quasi toutes les voix et propos et dans quasi toutes les situations : vos oreilles sont faites pour capter les langues que l’on dit auditivo-orales, composées de phonèmes (unités sonores). En revanche, la compréhension de ces phonèmes de manière visuelle grâce à la lecture labiale comporte plusieurs défis.

Voici quelques points où l’on constate que la compréhension de la langue auditivo-orale grâce à la lecture labiale s’avère difficile :

Plusieurs phonèmes sont difficilement visibles ou même invisibles sur la bouche

« r – k – g – s – z – t – d – n …”

  • soit qu’ils prennent la forme visuelle du phonème précédent ou suivant (« Richard » devient « Icha » ou Suzanne devient « Usan »)
  • soit qu’ils rendent le mot invisible,  comme « riz » ou « qui » qui ressemblent… à un sourire. Si vous demandez seulement « qui? », l’enfant ne saura peut-être même pas que vous avez parlé!

Certains phonèmes peuvent être masqués par les phonèmes suivants

Par exemple, le « l » de « loup » ou le « t » de « tout » est invisible. Dites-vous « loup » ou « tout »? Votre enfant voit « ou »!

  • Les mots sont donc tronqués. « joue » se voit « ou » et « jouer » se voit « oué »

Plusieurs phonèmes sont semblables à d’autres phonèmes et se voient pareillement sur la bouche!

On appelle cela des « sosies labiaux »

Ce sont ces groupes de phonèmes : p-b-m : pain/bain/main/etc ; f-v : feu/vœu/etc ; ch-j : Jean/champ/etc ; s-z : su/zoo/etc ; k-g-gn-r : rade/garde/carde/etc ; t-d-n: noix/doit/toit/etc.

Cela donne des possibilités comme : « Mamie/papi veut que j’aille prendre un pain/un bain. » Imaginez la confusion et la fatigue du décodage!

En lecture labiale, la perception est variable

Quand vous entendez, votre perception est toujours constante. En lecture labiale, la perception est variable : par exemple si le « l » de « loup » disparaît visuellement, le « l » de lire est visible, quoique faiblement. Vous, vous entendez toujours ce « l ».

Les limites de la lecture labiale sont aussi physiques :

La parole est un flux incessant de formes constamment différentes, dont les images visuelles demeurent pour la plupart floues ou confondantes, et duquel il faut faire sens. L’enfant doit jongler entre sosies labiaux, phonèmes plus ou moins visibles, et stratégies de communication plus ou moins respectées qui alourdissent ses efforts.Elle exige une concentration de tous les instants, la moindre milliseconde d’inattention peut faire perdre le fil, et les formes labiales suivantes deviennent inaccessibles.

Perception et compréhension

En raison de sa surdité, l’enfant ne pourra comprendre que ce qu’on lui dit directement. Pas les conversations autour de lui, ni la radio en voiture, ni les soupers en famille où l’on parle trop vite et tous en même temps, etc. Dans un contexte d’acquisition du langage et de connaissances à un âge crucial, on comprend les risques de retard et l’importance de bien gérer ces défis communicationnels et acquisitionnels.

Pensez « perception »

L’articulation que j’ai et l’environnement dans lequel je communique avec mon enfant sont-ils adéquats pour sa perception visuelle?

Elle exige un effort de suppléance mentale pour parvenir à comprendre toutes ces formes labiales, qu’elles soient invisibles, floues, pareilles à d’autres, ou plus claires, qui se succèdent sans lien logique. Le cerveau doit être en forme!

Cela demande une énergie considérable!

Les personnes qui utilisent la lecture labiale sont certes des championnes, mais doivent avoir beaucoup de repos. Il faut donc veiller à équilibrer stimulation langagière/apprentissage (absolument essentiels) et repos (tout aussi essentiel).

Pour les enfants, la lecture labiale comporte de nombreux défis :

  • S’immobiliser et/ou bien se placer pour voir la bouche et le visage;
  • Comprendre que les mouvements « disent » quelque chose, qu’il y a un sens, un langage associé à ces mouvements;
  • Comprendre ensuite ce qu’il faut déchiffrer dans ce flux imprécis : quoi et comment ?

Attention

Il peut être possible que l’enfant réponde, non pas parce qu’il a compris ce qui lui était dit, mais simplement parce que des indices non-linguistiques (mouvements, situations, pointés) lui font comprendre comment réagir. Cette déduction du “fond” au détriment de la compréhension de la “forme” peut entraîner un retard de langage.

Si l’enfant s’exprime approximativement – même si vous comprenez ce qu’il veut dire, il faut rester vigilant : ce peut être un indice d’un problème de perception. Si l’enfant perçoit mal, il comprendra mal et s’exprimera mal.

L’importance de la stimulation langagière

La stimulation langagière des enfants ayant une surdité est essentielle!

  • pour une plus grande exposition à la langue (pour compenser l’accès réduit au langage et aux informations)
  • pour une meilleure exposition à la langue (pour compenser le bain de langage altéré ou partiel)
  • pour une meilleure intégration de la langue (apprendre à la prononcer adéquatement et non pas comme on la perçoit visuellement en lecture labiale)

Attention! Pour faciliter la communication, on peut être tenté de faire des phrases simplifiées ou incomplètes! Pourtant, l’ordre des mots et la totalité des mots de la phrase sont essentiels pour maîtriser la langue, s’exprimer adéquatement, et se comprendre. Enlever des mots n’aide en rien l’enfant sourd ou malentendant dans ses apprentissages. Toutefois il faut s’assurer que chaque mot est clarifié visuellement et est compris.

Stratégie intéressante

Clarifier les mots-sosies ou les mots invisibles ou flous avec un mot qui complète. Par exemple « Va voir papa Alain dans la maison » est plus clair que « Va voir papa (maman ? le prénom clarifie) là-bas (flou) »

Avec le temps, proposez des formulations différentes pour améliorer la connaissance et la maîtrise de la langue.

Quelques pistes pour compléter la lecture labiale

  • Le Langage parlé complété (LPC) : rapide à apprendre, ce code permet d’accompagner chaque phonème d’un geste visuel. Le LPC rend la lecture labiale claire, sans confusion, et permet à l’enfant sourd de comprendre réellement la phonétique de sa langue.
  • Le français signé (où chaque mot possède son signe, y compris les “petits mots”) : un soutien visuel intéressant et aidant, mais sans lien avec la phonétique.

Le respect des stratégies de communication, l’articulation adéquate face à une personne labiolectrice, la stimulation langagière, l’usage juste du français, l’équilibre entre stimulation et repos, l’usage d’aide visuelle (gestes naturels, pointés, LPC ou français signé) permettent à l’enfant sourd d’acquérir une langue riche qui lui permettra une autonomie accrue et des outils décisionnels, pour une intégration à la société et pour une vie pleinement vécue.

Pour en apprendre davantage sur les différents modes de communication, consultez notre dossier spécial!

Rédaction : Marie-Andrée Boivin, pour Plaisir de lire
Révision : Jenny-Kate Proulx, Claire Moussel (AQEPA Provinciale)
L’Agence de la santé publique du Canada a contribué financièrement à la production de ce document. Les vues exprimées ici ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Agence de la santé publique du Canada.
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