Vivre avec la surdité

Mieux comprendre les relations entre frères et sœurs avec et sans surdité

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Marleen De Mey

Que vivent-ils? Comment réagissent-ils? Comment grandissent-ils? De quoi ont-ils besoin? C’est avec ces questions en tête, et pour alimenter la réflexion que Marleen De Mey a colligé des extraits de différents textes traitant du thème « La fratrie au sein d’une famille d’enfant handicapé ». Comme elle le dit elle-même, en présentant les fruits de ce travail dans La Parentière, numéro 1 – 2001 : « Il n’y est nullement question de surdité. Vous pourrez cependant y retrouver certains points communs ou au contraire des différences, chaque famille étant spécifique. »

Madame De Mey a travaillé pendant de nombreuses années pour l’Association des parents d’enfants déficients auditifs francophones (APEDAF) de Belgique qui publie La Parentière. Voici ce que nous avons retenu :
« … La venue d’un enfant handicapé est un événement difficile à accepter et à vivre pour les frères et sœurs comme pour les parents. Au début, le silence s’est installé, j’ai fait comme si rien n’était changé. Je n’ai pas posé de questions. Je jouais volontiers avec ce petit frère si attendrissant. À l’adolescence, j’ai essayé d’oublier que je vivais dans une famille “pas comme les autres”. Je m’efforçais de penser à demain, mais j’avais le sentiment d’avoir grandi trop vite. Enfin, à l’âge adulte, très vite, je savais ce que je ferais, je savais ce que je serais… » (1)

Des sentiments tels que la jalousie…

« … La surprotection dans laquelle les parents – le plus souvent l’un des deux – se montrent très proches de l’enfant handicapé conduit à réduire les exigences courantes que les parents ont envers les autres enfants. Alors l’enfant handicapé acquiert un statut d’enfant roi, intensifie ses demandes et attise la jalousie des autres qui ne se sentent pas reconnus dans leurs difficultés et leurs questionnements… » (2)

Droit à la réussite?

« … Je devenais provocatrice, m’habillant de manière très originale : c’était ma manière d’exister. J’avais remarqué que mes proches prêtaient une oreille attentive à tout ce qui avait trait au handicap, aussi à ma façon j’avais envie d’être écoutée et entendue : j’ai donc tout mis en place pour échouer dans ma vie. Ma réussite, c’était l’échec : à travers lui, au moins j’existais. On me disait souvent : “Je ne me fais pas de souci pour toi, tu réussiras toujours”. Ces paroles restent en moi… » (1)

Bousculer les parents

« Frères et sœurs sont aussi les “interprètes” entre les parents et les autres enfants, entre le monde extérieur et la famille. Ils interpellent les parents et les mobilisent. Dans une fratrie où un enfant présente un handicap, les frères et sœurs sains vont mettre de la vie, bousculer les parents, ouvrir les portes, inviter des amis, penser aux vacances, montrer que les parents ne doivent pas trop couver leur progéniture. » (2)

Quand l’enfant handicapé est le premier-né

« … L’arrivée d’un second enfant en pleine santé constitue un défi particulier, par la comparaison qui se fait inévitablement, et ravive la douleur, par le fait que le jeune enfant grandit et dépasse le stade de développement atteint par son aîné.

Ils peuvent avoir des attentes encore plus hautes à l’égard de l’enfant « normal ». Après tout, il devrait comprendre, lui ! Il n’a pas droit à l’erreur, à la souffrance. Tout se passe comme s’il n’avait aucune raison de se plaindre, ni d’avoir besoin de l’attention de ses parents. Puis, les parents vont trouver légitime – et on les comprend – que le second soit brillant, qu’il « répare » et donne ce que l’aîné n’a pu donner, effaçant leur blessure narcissique… (2)

Quand l’enfant handicapé est cadet…

« … Les frères et sœurs aînés sont confrontés à la découverte du handicap comme les parents. Ils vivent les mêmes réactions que ceux-ci, mais ils sont peut-être mieux armés pour supporter la douleur. Contrairement à leurs parents, ils ne peuvent se représenter clairement la charge à venir et les questions que cela suscite. Selon l’âge, les réactions des frères et sœurs varient. Citons C. Kebers (1991) : « Les enfants de zéro à cinq ans prennent le monde comme il est. Entre six et douze ans, les choses changent, en ce sens que ce qui ne correspond pas à un certain modèle pose question. Un handicap visible peut alors être ressenti comme quelque chose de honteux… » (2)

Comment prendre sa place ?

« … La souffrance familiale est telle que, sans s’en rendre compte, les parents ne reconnaissent parfois que les mérites de l’enfant handicapé. C’est comme si les autres membres de la fratrie n’en faisaient jamais assez, n’avaient jamais autant de difficultés que la personne handicapée, fournissaient toujours un effort moindre…

… Certains membres de la fratrie cherchent à occuper une position active, acquièrent un rôle parental… D’autres jouent le rôle de ceux qui posent problème, attirant sur eux les regards du groupe familial… La question centrale reste la lutte pour tenter d’obtenir la meilleure place, pour recevoir le plus de reconnaissance, d’attention de la part des parents. Les premiers manifestent l’envie d’aider les parents, voire d’être meilleurs qu’eux… Les seconds présenteront des troubles du comportement ou des problèmes psychologiques, voire psychiatriques, moyen d’exister dans le triangle parent(s)/enfant handicapé/eux-mêmes…

…Traiter chaque enfant comme « différent mais égal » est parfois bien difficile. Ce phénomène est accentué dans les fratries de deux. Si une qualité attendue n’est pas présente chez l’un, les parents veulent la trouver chez l’autre. Ils passent leur temps à comparer, à rechercher des éléments positifs, et attisent sans le vouloir la rivalité latente.» (2)

Pourquoi et comment parler du handicap

« Traduire la souffrance en mots, c’est la rendre compréhensible. Si l’on cache à l’enfant, ou si l’enfant se cache à lui-même sa différence, son retard, son handicap, alors il vivra dans l’illusion…
…Nous avons tous besoin, pour réagir adéquatement, de savoir dans quelle situation nous nous trouvons…

… En parler, ce n’est pas enfermer dans une étiquette réductrice, c’est nommer les difficultés, les limites. La prise de conscience se fait progressivement. On ne peut forcer quiconque à accepter un handicap, mais essayer qu’il le vive le mieux possible avec un entourage qui continue à le regarder positivement. Les frères et sœurs sont aussi embarrassés pour évoquer le handicap, ils ne savent pas comment en parler à leurs pairs.

… S’ils connaissent le diagnostic, les mécanismes physiopathologiques, ils peuvent mieux se situer et prendre le dessus… »

« … La vigilance des parents et l’accueil de leur enfant handicapé a créé une valeur que leurs autres enfants transmettent à leur tour. Pour développer cette sensibilité, les parents ont su respecter dans la vie quotidienne l’enfant sain, en évitant de gâter l’enfant handicapé ou de lui accorder un traitement de faveur. Forcer son enfant à accepter le frère (ou la sœur) handicapé le conduit à plus de sentiments négatifs à son égard. Si les parents reconnaissent que ces sentiments peuvent exister là comme en toute fratrie – on peut avoir envie de se disputer ou de se détester un moment, on n’aime pas être dérangé par son frère ou sa sœur quand on a un ami, etc. – cette agressivité sera plus supportable pour l’enfant sain. Il réalise que ses parents acceptent sa démarche de différenciation. L’enfant sain n’est pas « condamné » à être parfait, et l’enfant handicapé apprend aussi qu’il y a des limites et qu’il n’est pas l’enfant roi. Mais nous, professionnels, nous savons que rien n’est simple et que la souffrance est partagée… » (2)

Source:

Revue Entendre n° 156 : L’AQEPA, toute une famille!

(1) Gardou, C. et coll.; Frères et sœurs de personnes handicapées – Le handicap en visages – 3, Éditions Erès, France, 1997.
(2) Meynckens-Fourez, M. ; Les ressources de la fratrie – Fratrie et handicap d’un collatéral

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