Extrait du numéro 182 de la revue Entendre: La fratrie
Louise Bellemare
Peu à peu on commence à voir apparaître des articles et des livres sur la fratrie d’un enfant handicapé. Cependant rares sont ceux reliés à la surdité. Nous avons quand même trouvé une recherche dont je vais vous faire un bref survol. Marie-Claire Gay a rencontré huit aînés âgés de 9 à 12 ans et leurs parents. De ces aînés, trois avaient un frère ou une sœur avec une surdité.
Fratrie
« (…) Des auteurs issus de courants théoriques très différents ont abordé la question du fraternel. Adler (1927) est le premier à avoir souligné l’importance des relations fraternelles dans le développement de la personnalité en établissant des caractérologies en fonction de la place dans la fratrie. (…)
Délaissant rapidement la démarche caractérologique, un certain nombre d’études empiriques ont été réalisées dans une perspective de développement. Malgré une rigueur méthodologique approximative du fait de l’interaction d’un trop grand nombre de variables, elles ont eu le mérite d’attirer l’attention sur la complexité des rapports fraternels et d’en approfondir plusieurs aspects : jalousie de l’aîné à la naissance du puîné, maturation différente selon le sexe et le rang dans la fratrie, transformations des relations fraternelles avec le temps. (…) Pour tous ces courants théoriques, les mouvements de jalousie, de rivalité et d’identification apparaissent comme les déterminants de la construction psychique de chacun des membres de la fratrie.
Fratrie et handicap
(…) Le handicap d’un enfant est toujours culpabilisant pour sa fratrie. Pour les aînés, le remords d’une pensée toute puissante prédomine. Ils n’ont pas souhaité la venue du nouvel enfant, ont souvent voulu qu’il meure ou soit au moins blessé pour ne pas avoir à rivaliser. Or ces fantasmes se réalisent : l’enfant est handicapé. Pour les puînés, la culpabilité est d’un autre ordre : celle d’être né sans handicap. Pour tous, s’ajoute la culpabilité des parents, transmise d’une façon ou d’une autre aux enfants. De ce fait, honte et agressivité deviennent très difficiles à exprimer. (…)
C’est cet ensemble d’attitudes qui est susceptible de conduire à la « parentalisation » de ces frères et sœurs : grandis trop vite, parce qu’obligés de tenir précocement des rôles d’adultes, s’interdisant toute faiblesse, ils sont décrits comme hypermatures, suradaptés, très responsables et sérieux. (…) Ils deviennent les parents de leurs frères ou sœurs handicapés ; le processus de « parentalisation » (…) est en place.
Fratrie et surdité
(…) Par ailleurs, les entretiens semblent montrer que les fratries d’enfants sourds de notre échantillon ne semblent pas particulièrement responsabilisés, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse initiale. (…) Marine évoque (toutefois) son rôle de traductrice. En revanche, leurs frères et sœurs mettent tous en avant le fait que les enfants sourds bénéficient de plus d’attention. Ce que les parents admettent. (…) Le sentiment de jalousie (…) semble quant à lui difficile à exprimer par les fratries du groupe contrôle, et paradoxalement plus avouable par celles d’enfants sourds, constat qui va à l’encontre de ce qui a été écrit sur les fratries d’enfants handicapés, pour lesquels la rivalité, la jalousie et l’agressivité seraient des sujets dont ils ont peine à parler. » (1)
Dans tout ce que j’ai lu sur la fratrie et la surdité, il est suggéré aux parents de ne pas avoir peur de parler de la surdité et surtout des émotions qu’elles provoquent chez eux. On insiste également pour que la fratrie puisse avoir un lieu (psychologue, groupe de paroles) où parler de leurs sentiments (peur de la contagion, malaise, jalousie, colère, etc.). La fin de semaine familiale est souvent l’occasion pour les fratries de rencontrer leurs semblables, de jaser de leurs expériences et de se reconnaître dans les autres. Est-ce qu’en plus d’être une partie de plaisir, venir à la fin de semaine familiale de l’AQEPA serait un geste « thérapeutique » ? Je n’ose pas répondre.
(1) Le phénomène de parentalisation dans la fratrie des enfants sourds
par Marie-Claire Gay – Commune Humanité édition