Extrait du numéro 161 de la revue Entendre: Prématuré et surdité
Gaëlle Trébaol
Tout le monde a déjà entendu parler d’un minuscule bébé « sauvé », car ses parents l’avaient gardé près du poêle et nourri au compte-gouttes. Ce bébé est invariablement devenu un colosse en pleine santé…
De tout temps, il y a eu des bébés nés trop tôt et, si la très grande majorité décédait peu après la naissance, certains ne nécessitant pas d’oxygène supplémentaire survivaient. Environ 400 ans avant J.-C., Hippocrate affirmait qu’un fœtus né à 7 mois de grossesse ressemblait à un bébé né à terme, mais survivait rarement. Une croyance présente chez les Grecs, les Latins et les peuples germaniques voulant que les bébés nés à 7 mois avaient plus de chances de survie que les bébés nés à 8 mois a persisté jusqu’au XVIIIe siècle.
Avant 1870
Toutefois, on s’est peu intéressé au phénomène des bébés prématurés avant 1870. La guerre franco-russe ayant décimé la population française, les médecins ont mis alors un effort soutenu à diminuer la mortalité infantile dans le but de repeupler la France. La première préoccupation des docteurs Tarnier et Budin, obstétriciens, est l’incapacité pour les prématurés de garder leur chaleur. Ayant vu, dans un zoo, des couveuses utilisées pour les poussins, ils en commandent quelques-unes et décident de les utiliser pour les bébés prématurés. Il s’agit alors de couveuses non fermées munies d’une alarme qui sonne si la température devient trop élevée.
Concurremment, on commence à donner du lait maternel aux bébés à la cuillère ou par gavage. Comme plusieurs décèdent d’infections, des règles sont instaurées. Toute personne s’approchant des bébés doit avoir lavé ses mains, le lait est réfrigéré et une bonne hygiène règne dans la salle où se trouvent les prématurés. Les mères sont les bienvenues et sont même encouragées à allaiter.
De plus en plus de survies
En 1901, comme la survie des bébés prématurés devient un véritable sujet d’intérêt, le Dr Couney décide de les présenter dans des expositions. Les frais d’entrée permettent de subvenir aux besoins des bébés. On estime qu’en quarante ans, cinq mille bébés prématurés ont été montrés dans des expositions ou dans des foires. Alors que le Dr Budin laissait une place importante aux parents auprès de leur bébé, le Dr Couney, quant à lui, interdit la visite des parents, car il croyait que les infections seraient ainsi moindres.
Depuis, cette supposition qui a été déclarée comme non fondée, toutefois ce ne sera que dans les années 1970 que les parents pourront de nouveau visiter leur bébé prématuré dans les pouponnières. La première pouponnière officielle offrant des soins aux bébés prématurés n’ouvre ses portes qu’en 1923 à Chicago.
Une évolution dans le temps
Débute l’intubation de bébés demandant une aide respiratoire importante et, en 1940, une forte concentration en oxygène est librement utilisée chez un très grand nombre de prématurés. Ce n’est que dans les années 1950 qu’on s’apercevra que la haute teneur en oxygène a causé chez bien des enfants une atteinte visuelle tout en augmentant le taux de survie. En 1956, on décrit ce qui est aujourd’hui appelé rétinopathie. Bien des enfants quittent alors l’hôpital aveugle ou avec une atteinte visuelle causée par de trop fortes doses d’oxygène. On administre aussi des antibiotiques visant à traiter diverses infections. Certains de ces antibiotiques s’avèrent ototoxiques (toxiques pour l’oreille) et des enfants deviennent sourds.
Les traitements se raffinent et permettent l’augmentation du taux de survie, mais l’immaturité des enfants et l’absence de recherches concernant les traitements offerts ont parfois des incidences négatives importantes.
Comme de plus en plus de bébés prématurés malades et immatures reçoivent des soins, de nouvelles maladies commencent à émerger. En 1964, on découvre une maladie intestinale grave, l’entérocolite nécrosante, qui touche les prématurés. On décrit pour la première fois en 1967 la dysplasie broncho-pulmonaire. Ce n’est qu’en 1975 que la néonatologie devient une spécialité reconnue par le Comité de pédiatrie américain (American Board of Pediatrics).
De nouvelles découvertes
Les bébés prématurés sont transférés dans des centres spécialisés où on leur offre des soins; différentes technologies y sont utilisées plus largement comme les respirateurs et la photothérapie par exemple. Paradoxalement, ce n’est qu’en 1984 que, grâce à l’intervention d’une mère, on reconnaît dans la communauté scientifique que le bébé prématuré peut ressentir la douleur. En effet, jusque-là toutes les interventions (chirurgies cardiaques, installation de drain au cerveau, etc.) étaient effectuées sans aucune anesthésie.
Il y a encore aujourd’hui une évolution en ce qui concerne le contrôle de la douleur. Depuis environ huit ans, on administre des sédatifs aux bébés intubés à l’unité néonatale. Les soins visant à un meilleur confort du bébé prématuré et pouvant diminuer à long terme l’incidence de certaines séquelles sont de plus en plus mis en place dans les unités néonatales.
Toutefois, ces soins ne sont pas encore appliqués partout. On recouvre les incubateurs afin de diminuer la lumière environnante de permettre un meilleur sommeil au bébé. Le bébé est positionné pour qu’il soit plus confortable et pour éviter des déformations à plus long terme. On tente de diminuer l’intensité des bruits susceptibles de déranger le bébé, mais aussi de causer chez lui une perte auditive.
Au début du siècle
La survie des bébés nés quelques semaines trop tôt était loin d’être assurée. Le défi de les garder au chaud et de les nourrir était énorme. À ce moment, le taux de survie des bébés pesant entre 1 200 grammes et 1 500 grammes atteignait 15%. Par contre, ces enfants ne bénéficiaient d’aucun suivi ainsi on ne sait pas combien ne souffraient d’aucune séquelle.
Toutefois, en 1939, le docteur Mary Shirley effectue une recherche auprès d’enfants âgés de 6 mois à 30 mois qui étaient nés à moins de huit mois et demi pesant moins de cinq livres. Elle publie un article dans Child Development où elle fait état de ses observations. Elle affirme que plusieurs ont de la difficulté à avoir une prononciation correcte, ont une maladresse motrice évidente, un retard dans l’acquisition de la motricité globale et même une démarche saccadée. Ils sont également hyperactifs, émotionnellement immatures, démontrent des réactions anormales de peur, etc. Ses résultats demeurent encore actuels.
Aujourd’hui
Environ 85% de ces bébés survivent et de nombreuses études portent sur eux. On rapporte que plusieurs sont atteints de paralysie cérébrale ou vivent avec une surdité, certains ont des problèmes visuels ou une déficience intellectuelle. Toutefois, plusieurs n’ont pas de limitation fonctionnelle en tant que telle, mais présentent des troubles d’apprentissage ou des caractéristiques dont parlaient déjà le Dr Shirley en 1939.
Aujourd’hui, des bébés nés à 23 semaines sont réanimés de façon routinière. Le défi s’est complexifié et un très grand nombre des extrêmes prématurés gardent des séquelles souvent multiples de leur naissance prématurée.
Il est de plus en plus difficile de démêler l’écheveau des problèmes présentés par ces enfants et bien des professionnels avouent être dépassés. La néonatalogie s’est penchée depuis ses débuts sur les interventions nécessaires pour maintenir en vie les bébés prématurés et le taux de survie s’est grandement amélioré.
Malheureusement, le suivi offert à l’heure actuelle à ces enfants est tout à fait insuffisant. Il est maintenant nécessaire que les champs d’intérêt (et d’obligation) de la néonatologie s’élargissent à l’entièreté de l’enfant et pour toute sa vie.
Vous voulez en savoir plus :
Sylvie Louis en collaboration avec Gaëlle Trébaol et Dr Annie Veilleux, Le grand livre du bébé prématuré : du choc de la naissance à l’arrivée du bébé à la maison, Tome 1, Hôpital Sainte-Justine, 2001, 364 p.
Sylvie Louis en collaboration avec Gaëlle Trébaol et Dr Annie Veilleux, Le grand livre du bébé prématuré : causes, séquelles et autres enjeux, Tome 2, Hôpital Sainte-Justine, 2002, 354 p.
Helen Harrison, The Premature Baby Book, St. Martin’s Press, 1983, 273 p.