Quand les parents de Sophie ont appris que leur fille avait une surdité sévère, ils se sont dit qu’elle était peut-être sourde, mais que cela ne l’empêcherait pas de faire tout ce qu’elle voudrait dans la vie, que ce soit des études, avoir une famille ou autre.
Se battre pour réussir
A l’école primaire, c’était assez simple au début : elle n’avait qu’à s’asseoir en avant. Mais avec les années, la famille a commencé à prendre conscience des obstacles. Pendant les dictées, par exemple, l’enseignant se promenait dans la classe et Sophie laissait des trous dans son texte quand elle n’arrivait pas à comprendre un mot. N’étant pas en mesure elle-même de demander à l’enseignant de rester en avant, sa mère a dû aller à l’école pour expliquer le problème à l’enseignant. Sophie n’avait pas encore de système MF à l’époque.
Lorsque Sophie a commencé le secondaire, sa mère lui a fait comprendre qu’elle n’aurait pas le choix de prendre la responsabilité de parler aux enseignants de la surdité et de ses besoins. Ainsi, à la fin de chaque premier cours en début d’année, elle présentait le système MF à son enseignant et expliquait son utilisation. Certains enseignants étaient accommodants, d’autres moins. Pendant les cours, Sophie n’était pas capable d’écouter les enseignants tout en copiant les notes des acétates. Elle devait donc aller aux cours de récupération pour obtenir les explications manquantes. Sophie se rappelle que sa plus grande frustration au secondaire était que les gens ne voulaient pas répéter. Ils lui disaient souvent que ce n’était pas important si elle n’avait pas compris.
Parfois les gens faisaient des commentaires blessants aussi, lui disant par exemple qu’elle ne pourrait travailler ou avoir un chum comme tout le monde. Comme Sophie dit : « C’est tellement facile de poigner quelqu’un par sa faiblesse». Elle soutient que c’est le sport qui l’a sauvée, en lui permettant de se défouler. Elle a fini par développer une carapace et a profité de l’appui de son entourage, qui l’encourageait à poursuivre ses études, pour elle-même et pour ouvrir le chemin aux autres.
Trouver sa voie, malgré les embûches
Au cégep, Sophie a investi cinq ans dans différents programmes. Mais ce n’est qu’au cégep de Ste-Foy, lorsqu’elle s’est inscrite au programme de technique en laboratoire médical, qu’on lui a enfin dit qu’elle avait droit à des services en raison de sa surdité. En début d’année, la secrétaire est venue dans les cours pour recruter des preneurs de notes, ce qui aidait Sophie énormément. À son retour au Lac St-Jean, Sophie a poursuivi ses études au programme de Techniques de soins infirmiers. Mais, peu à peu, elle se rendait compte qu’il y avait de la résistance à ce qu’elle devienne infirmière.
Lors des stages, on lui permettait de laver les patients et changer les lits, mais quand venait le temps d’assister aux accouchements, on l’écartait à cause de sa surdité – même si elle ne faisait qu’observer et prendre des notes ! On ne voulait même pas qu’elle fasse les examens, de peur qu’elle réussisse. C’était évidemment de la discrimination mais elle n’a pas voulu se plaindre officiellement. Finalement, Sophie a dû se contenter de travailler comme préposée aux bénéficiaires.
Par la suite, elle a vu une annonce pour le DEP Assistance technique en pharmacie qui a suscité son intérêt. Après avoir fait un essai en pharmacie et à l’hôpital pour voir si l’emploi pourrait lui convenir, Sophie a décidé de s’inscrire, après s’être assurée qu’ils acceptaient les personnes sourdes.
S’adapter au monde professionnel, avec la collaboration d’autrui
Finalement, Sophie travaille depuis maintenant 13 ans dans une pharmacie d’hôpital. C’est inévitablement un milieu bruyant, avec les téléphones, les imprimantes et les cloches, mais Sophie a développé des stratégies pour surmonter les obstacles. Dans le cas du téléphone, qui demeure sa plus grande faiblesse, elle demande de répéter si elle ne comprend pas, ou elle transfère l’appel à un autre technicien. Elle demande aussi aux gens de la regarder lorsqu’ils lui parlent. Il faut parfois insister, mais les gens finissent par comprendre qu’ils n’ont pas le choix s’ils veulent faire affaire avec elle. Une autre difficulté qu’il a fallu affronter était l’utilisation du casque d’écoute lors des préparations sous la hotte. Puisqu’elle ne pouvait entendre le pharmacien avec le casque, les pharmaciens et l’équipe des techniciens ont proposé l’installation d’un système de lumières de couleurs différentes pour comprendre les consignes, ce qui fonctionne très bien.
Sophie souligne que ses parents ont toujours été là pour elle tout au long de son parcours. Ils lui ont dit : « Sophie, il y aura toujours des gens pour te mettre les bâtons dans les roues. L’important c’est de te battre et de montrer ce que tu es capable de faire. »
Maintenant mère de famille, Sophie dit vivre les mêmes inquiétudes que toutes les mères. Testés à la naissance, ses enfants n’ont pas de surdité. Bien sûr, Sophie a dû développer des stratagèmes pour pallier son handicap. Quand ses enfants étaient bébés, elle dormait en gardant un de ses appareils auditifs pour être sûre de les entendre pleurer. Elle s’est également munie d’un moniteur avec une lumière. Aujourd’hui, Sophie a un chien à la maison et quand il jappe, elle sait qu’il y a quelque chose qui se passe. Elle a habitué ses enfants à s’approcher pour lui parler et ils lui signalent que le téléphone sonne ou que le chien jappe si elle n’a pas entendu. En somme, il y a certes des obstacles dans sa vie, mais Sophie semble bien capable de les franchir et vivre une vie épanouie.
Et nos enfants sauront sans doute faire pareil !
Par Nicole De Rouin