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Redéfinir la normalité

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Depuis plusieurs années, la société se pose régulièrement la question de ce que veut dire “être normal”. Cette normalité est sans cesse redéfinie, parfois très naturellement, parfois après de longs combats.

La surdité n’échappe pas à cette “normalisation”… mais est-ce parce qu’on l’accepte mieux… ou parce qu’on veut l’effacer?

Ce questionnement nous anime depuis quelques mois et nous souhaitions vous le partager, afin d’y réfléchir ensemble.

Découverte précoce de la surdité

Nous demandons depuis des années à ce que le dépistage de la surdité soit offert à tous les nouveau-nés. Nous savons que l’identification précoce de la surdité est le point de départ de tout un parcours de vie, un moment clé. Le diagnostic néonatal permet d’identifier une différence qui, si elle n’est pas “compensée”, risque d’entraver le développement de l’enfant.

Le programme québécois de dépistage de la surdité chez les nouveau-nés (PQDSN) se déploie, encore trop lentement, mais il se déploie. Théoriquement, la moitié des nouveau-nés en bénéficient aujourd’hui : on pourrait ainsi estimer que cette année, une surdité a pu être identifiée chez environ 200 bébés.

À l’AQEPA, nous étions prêtes! Prêtes à accueillir 200 nouvelles familles, à les écouter, les conseiller, les rassurer et leur offrir des services de stimulation précoce, dès les premiers mois de vie de leur enfant. Mais le “boum” attendu n’a pas eu lieu.

Pourquoi donc? Quelques pistes de réponses sont à envisager.

L’accès à l’information

Ces familles ont-elles eu connaissance des bénéfices de l’accompagnement que nous pouvons leur offrir?

Nous allons régulièrement à la rencontre des équipes d’audiologistes responsables de l’annonce du diagnostic et des premières étapes de réadaptation pour présenter nos services et le soutien familial, par les pairs, que nous pouvons offrir. Nous sommes plus que ravies de l’ouverture et de la collaboration qui en ressort pour le bénéfice des parents. Vous, intervenants, intervenantes, êtes convaincus Mais avez-vous besoin de plus? Avez-vous besoin d’autre chose? Dites-le nous!

La compréhension et l’acceptation de la surdité

Finalement, lorsque, grâce au référencement des centres de réadaptation, nos équipes régionales parviennent à rencontrer ces nouvelles familles qui voient la surdité surgir dans leur vie, leur réponse nous déstabilise souvent.

“Non tout va bien, mon enfant a ses appareils, il entend bien, il est normal”.

De quelle normalité parle-t-on? Est-ce parce qu’on leur propose de plus en plus de prothèses auditives “révolutionnaires”? Est-ce une réaction face à l’augmentation des diagnostics, parfois multiples? Je repense à des parents qui, après une longue errance diagnostique (est-ce un TDAH? est-ce une déficience intellectuelle? est-ce le spectre de l’autisme?) étaient soulagés de découvrir que leur enfant était “juste malentendant”…

Loin de nous l’idée d’être alarmistes, pessimistes, ou de vouloir créer un besoin qui n’existe pas. “Le problème de l’intervenant, c’est qu’il veut toujours intervenir”, comme on se le dit, dans le milieu communautaire…

Toutefois, les retours d’expérience de différents parents et de personnes sourdes ou malentendantes, ainsi que nos propres constats au quotidien nous démontrent plusieurs choses que l’on voudrait partager :

> Les progrès… et les limites des technologies

Les progrès technologiques sont indéniables et les appareils auditifs, tout comme le processus d’implantation, sont de plus en plus efficaces. Toutefois, ils viennent avec certaines limites. La discrimination sonore nécessite toujours un effort particulier (pour comprendre certaines fréquences et pour distinguer la parole des bruits ambiants qui se trouvent eux aussi amplifiés). Cet effort constant entraîne une fatigue d’écoute et une fatigue de compensation liée à l’effort pour déduire ce qui n’est pas entendu.

Pas étonnant alors que l’on nous demande de plus en plus fréquemment conseil dans des situations où un enfant refuse de porter ses appareils, le plus souvent dans des périodes de changement d’environnement : à l’entrée à la garderie ou à l’entrée à l’école.

> Les difficultés surviennent principalement à l’école

Enfin, nous remarquons que les parents contactent éventuellement leur AQEPA après l’entrée à l’école de leur enfant : celui-ci a besoin d’aide aux devoirs pour rattraper ses difficultés, ils se retrouvent confrontés à des obstacles pour obtenir des services et des adaptations, ou leur enfant subit de l’intimidation ou de l’exclusion sociale, ou ressent un fort sentiment d’échec, de découragement face aux efforts accrus dont il doit faire preuve.

Face à ces constats… on ne peut s’empêcher de penser “mieux vaut prévenir que guérir”. 

Alors, comment faire pour que les parents, dès la découverte de la surdité de leur enfant, mettent toutes les chances de leur côté pour “anticiper” les difficultés qui pourraient survenir à l’entrée à l’école?

Quelques pistes à explorer ensemble?

Avez-vous déjà fait ces constats vous-mêmes? Pensez-vous que vous avez un rôle à jouer dans cette prévention?

En tant qu’intervenant, intervenante, vos approches, vos échanges ont un impact conséquent sur les apprentissages et les perceptions des familles.

Quelques pistes semblent alors à explorer :

  • Être réaliste quant aux bénéfices et aux limites des aides auditives : elles ne rendent pas l’audition, elles permettent de compenser la perte auditive, d’amplifier ou de “retranscrire” des sons.
  • Rappeler les impacts concrets de la surdité sur la perception sonore et les différentes options pouvant être mises en place pour soutenir la compréhension du langage par l’enfant.
  • Nommer la surdité de l’enfant, sans pour autant en faire une caractéristique centrale de sa personne, ni quelque chose de dépréciatif ou dévalorisant, ou limitant par principe. Être aussi descriptif et objectif que possible.
  • Pour rassurer les parents qui reçoivent un diagnostic de surdité en état de choc : rappeler que leur enfant…. reste un enfant. Des collègues du milieu de la petite enfance évoquaient un changement récent de vocabulaire : elles préfèrent ainsi parler d’enfant à besoin de soutien particulier, plutôt que d’enfant à besoins particuliers (car après tout…. quel enfant n’a pas de besoin particulier?).
  • Rappeler que différent ne veut pas dire anormal : “nous sommes tous différents, pareil”.
  • Rappeler que le poids de l’adaptation, s’il repose uniquement sur les épaules de l’enfant, peut s’avérer, à la longue, trop lourd.
  • Encourager les parents à explorer toutes les activités épanouissantes pour les enfants : lecture, jeu, sport, en étant conscient des obstacles qu’ils pourront y rencontrer.
  • Garder à l’esprit qu’un rapport contradictoire à la normalité (sentiment d’appartenance) et à l’originalité (volonté d’être unique et de se démarquer) pourra surgir à l’adolescence, période de construction identitaire, et pourra interagir avec la surdité du jeune.
  • Questionner notre utilisation du mot “normal”, ou le prendre avec des pincettes, le contextualiser.

En conclusion…

Nous savons qu’il y a encore beaucoup à faire pour que les jeunes vivant avec une surdité aient les mêmes chances que leurs pairs entendants de s’épanouir pleinement.

Différent ne veut pas dire anormal… et pour que notre société soit plus inclusive, les différences ne doivent pas être gommées, elles doivent être nommées, reconnues, prises en compte, sans être stigmatisées.

L’AQEPA sera là pour rappeler la responsabilité que nous avons, collectivement, d’être aussi inclusifs que possible, et pour accueillir et soutenir tous les jeunes et leurs familles, quand ils en auront besoin à leur rythme. L’AQEPA sera là pour encourager et valoriser les démarches et les approches visant à adapter l’environnement à chaque enfant et à faciliter le développement de son potentiel.

Tout en espérant qu’un jour… nous n’aurons plus à le faire !

Pour aller plus loin sur le rapport à la normalité…

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