Au cours d’un événement virtuel organisé le 19 février 2021 rassemblant plus de 100 personnes, nous avons questionné les différents enjeux autour des représentations de la surdité et de la fierté Sourde afin d’explorer les actions à mettre en œuvre, pour la vivre, l’encourager et la promouvoir.
Nous vous présentons les résultats de cette activité :
Conférence : Fiers d’être Sourds! Enjeux linguistiques et rapports identitaires
par Charles Gaucher, Ph.D. Professeur à l’École de travail social de l’Université de Moncton
Commentaire de Laurence Meurant, Ph.D, Linguiste, Université de Namur (Belgique)
L’idée qu’on puisse être fier d’être Sourds renvoie à différentes conceptions de la communication, voire à plusieurs idéologies qui forgeront les perceptions de la surdité des parents qui ont un enfant sourd. La réflexion proposée abordera les différents discours qui encouragent les parents à être fiers de leur enfant sourd et de sa différence linguistique.
Témoignages
Cinq personnes sourdes ont livré de généreux témoignages concernant leur identité et leur parcours. Chacune d’entre elles nous a offert son récit en langue des signes québécoise et en langue des signes de Belgique francophone et des interprètes ont permis de rendre leur témoignage accessible pour toutes et tous. Nous nous sommes intéressés principalement à leur manière de s’identifier à la fierté sourde ainsi qu’à la culture sourde. Ils nous ont aussi fait part des obstacles qu’ils ont surmontés, leurs plus grands accomplissements ainsi que leurs conseils et leurs avis pour soutenir la communauté sourde.
Comment s’identifier par rapport à la surdité, et pourquoi?
Le contact avec d’autres personnes sourdes, avec la culture sourde, avec la langue des signes contribue à s’identifier comme personne sourde (par exemple : en école spécialisée, dans des groupes sociaux, des organismes, des activités) de manière positive et affirmée.
Les réactions et perceptions des personnes entendantes qui ne connaissent pas la surdité, peuvent influencer la manière de s’identifier. Par exemple : il est parfois moins épuisant de se présenter comme “personne malentendante” que comme “personne sourde” pour éviter les réactions de maladresse voire de peur.
Il semble essentiel de comprendre toute la diversité des enjeux liés à la surdité et aux aspects d’identification qui y sont associés. La surdité est différente de la myopie dans le sens où il ne s’agit pas juste de porter une aide auditive pour qu’elle disparaisse, contrairement à une paire de lunettes.
Pistes de réflexions et d’actions :
- Développer et multiplier les contacts des jeunes et de leurs parents avec des personnes sourdes ou malentendantes fières de leur identité et de leur parcours, pour favoriser l’identification positive
- Sensibiliser, expliquer, démystifier, vulgariser : qu’est-ce que la surdité, la malentendance, qu’est-ce que cela implique, comment communiquer avec une personne ayant une surdité… la maladresse, la peur et l’exclusion viennent de l’ignorance ou de la désinformation.
- Choisir et affirmer l’identité et le rapport à la surdité qui convient le mieux à sa réalité, à sa sensibilité. Expliquer, valoriser, questionner et surtout… se préserver.
Qu’est-ce que la fierté sourde et comment la favoriser?
Pour certaines personnes, la surdité et la culture sourde ou la Sourditude deviennent des éléments constitutifs de leur identité. La fierté se bâtit alors et sera revendiquée comme différence culturelle enrichissante pour la société.
Pour d’autres, la fierté peut être liée aux efforts nécessaires pour franchir les obstacles liés à la surdité et aux manques d’adaptation ou d’accessibilité, ainsi qu’aux accomplissements (académiques ou autres) : il s’agit d’éprouver de la fierté malgré la surdité. La fierté sourde est donc un spectre.
La surdité et la langue des signes font partie intégrante de la vie de plusieurs, de leur identité, et ils en deviennent fiers. Ils ne souhaitent finalement pas la faire disparaître et peuvent même être reconnaissants de cette différence.
Ce qui favorise la fierté sourde?
La découverte et l’utilisation de la langue des signes contribue souvent à développer le sentiment de fierté sourde, via un sentiment d’appartenance à une communauté linguistique et par le renforcement du sentiment de compétence car “avec la langue des signes, je vois les mots”.
L’art est aussi un vecteur important de développement de la fierté sourde, par la découverte, l’identification et la contribution à la culture sourde : poésie, danse, théâtre, cinéma, performances artistiques etc…
Enfin, différentes personnes contribuent au développement de fierté chez les jeunes sourds:
- leurs parents sont les premières personnes significatives qui auront un rôle à jouer pour développer leur sentiment de fierté notamment par leurs encouragements à persévérer, la valorisation de leurs efforts et de leurs réussites et le développement de leur autonomie
- leur interprète en langue des signes, en tant que premier modèle linguistique,
- les enseignants sourds,
- les membres de la communauté sourde.
Pistes de réflexions et d’actions pour contribuer au développement du sentiment de fierté chez les jeunes sourds :
- Présenter aux parents d’enfants vivant avec une surdité toutes les possibilités communicationnelles, tous les parcours possibles, avec leurs avantages et leurs défis, de manière équitable et neutre.
- Encourager et souligner les accomplissements individuels des jeunes, tout au long de leur parcours – que l’on soit parent, proche du jeune, intervenant, enseignant…
- Encourager l’apprentissage des langues des signes – comme une langue seconde (pour les jeunes oralistes ou même les jeunes entendants)
- Envisager la surdité non pas comme une maladie mais comme une différence qui peut s’accompagner d’un aspect culturel et identitaire fort et positif
- Reconnaître et valoriser les qualités et compétences personnelles développées en raison de la surdité (exemple : persévérance, force mentale, capacités d’adaptation, lecture labiale…) – que l’on soit un parent, un proche ou un intervenant
- Permettre aux jeunes ayant une surdité de découvrir et l’art et la culture sourde, la Sourditude… (Poésie signée, chantsigne, ou toute autre)
- Développer et généraliser les représentations positives diversifiées (dans les médias, dans les œuvres de fiction…)
Quels ont pu être les obstacles au développement de la fierté sourde?
Le manque d’information dans la société quant à la surdité va parfois faire apparaître des comportements pouvant affecter le sentiment de fierté de la personne sourde lors d’interactions.
Certains ne comprennent pas qu’une personne puisse “ne rien entendre” mais être tout de même capable de parler. D’autres peuvent avoir tendance à croire qu’une langue parlée est supérieure à une langue signée.
Sont notamment mentionnés :
- la difficulté à intégrer une formation pour exercer le métier choisi (dissuasion, manque d’accessibilité et d’adaptations, préjugés)
- les préjugés et attitudes d’incompréhension, de malaise, de peur, de rejet liées à la méconnaissance de la surdité ou des des stratégies de communication
- la rencontre de situations capacitistes où les personnes entendantes sont fortement avantagées par rapport aux personnes vivant avec une surdité (absence de sous-titrage, de pictogrammes, d’alarmes visuelles)
Quelques pistes à explorer pour surmonter les obstacles :
- Sensibiliser la population quant à ce que la surdité implique
- Donner des stratégies de communication faciles à utiliser avec les personnes sourdes (gestes naturels, l’écrit, apprentissage de la LSQ comme langue seconde…)
- Augmenter la disponibilité des sous-titrages, des pictogrammes, des alarmes visuelles, etc.
- Développer les services, activités contenus, messages, événements, interprétés ou traduits en LSQ
- Envisager une aide gouvernementale pour les parents d’enfants sourds (congés supplémentaires, soutien financier, remboursement pour apprendre la LSQ)
En bref…
En somme, la fierté sourde est bien présente parmi les personnes vivant avec une surdité. De nombreux aspects vont tendre à la renforcer. L’appartenance à un groupe, des accomplissements divers ainsi que la maîtrise d’une langue des signes propre à la communauté ne sont que quelques facteurs parmi tant d’autres qui vont alimenter ce sentiment si important.
Quant aux obstacles actuels, de nombreux moyens sont déjà mis en place afin de les réduire et de nombreuses autres idées émergent afin de favoriser l’inclusion sociale des personnes sourdes.
- Envisager la surdité non pas comme une maladie mais comme une différence qui peut s’accompagner d’un aspect culturel et identitaire fort et positif
- Reconnaître et valoriser les qualités et compétences personnelles développées en raison de la surdité (exemple : persévérance, force mentale, capacités d’adaptation, lecture labiale…) – que l’on soit un parent, un proche ou un intervenant
- Permettre aux jeunes ayant une surdité de découvrir et l’art et la culture sourde, la Sourditude… (Poésie signée, chantsigne, ou toute autre)
- Développer et généraliser les représentations positives diversifiées (dans les médias, dans les œuvres de fiction…)
Quels ont pu être les obstacles au développement de la fierté sourde?
Le manque d’information dans la société quant à la surdité va parfois faire apparaître des comportements pouvant affecter le sentiment de fierté de la personne sourde lors d’interactions.
Certains ne comprennent pas qu’une personne puisse “ne rien entendre” mais être tout de même capable de parler. D’autres peuvent avoir tendance à croire qu’une langue parlée est supérieure à une langue signée.
Sont notamment mentionnés :
- la difficulté à intégrer une formation pour exercer le métier choisi (dissuasion, manque d’accessibilité et d’adaptations, préjugés)
- les préjugés et attitudes d’incompréhension, de malaise, de peur, de rejet liées à la méconnaissance de la surdité ou des des stratégies de communication
- la rencontre de situations capacitistes où les personnes entendantes sont fortement avantagées par rapport aux personnes vivant avec une surdité (absence de sous-titrage, de pictogrammes, d’alarmes visuelles)
Un des moyens mis en évidence par tous les intervenants est l’enseignement de la langue signée, autant aux personnes sourdes qu’à leur entourage, puisqu’elle apporte de grands changements dans la vie d’une personne sourde. Dans un premier temps, cette langue permet de s’exprimer au sein d’un groupe linguistique vivant des expériences similaires, ou qui du moins est sensibilisé à ces vécus. Tout comme une langue orale, elle va faire apparaître un sentiment d’appartenance. La maîtrise d’une langue étant complètement accessible – car basée sur un canal visuel, et non auditif – permet aussi aux personnes Sourdes de développer leur sentiment de compétence. Elle permet enfin d’exprimer et de porter la culture sourde à travers divers canvas, comme la théâtre signé et de nombreuses autres possibilités. Ces différentes sources d’accomplissement vont ainsi, de manière évidente, contribuer à alimenter la fierté sourde tout au long de la vie des locuteurs d’une langue des signes.
Synthèse produite par Jenny-Kate Proulx et Claire Moussel – AQEPA Provinciale
Pour aller plus loin :
- Des personnes qui ont fait l’histoire de la surdité (AQEPA)
- Culture Sourde (Charles Gaucher, Anthropen)