Vivre avec la surdité

L'oralisme et la communication totale

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Louise Duschene, Chercheuse régulière du CIRRIS et professeure au département d’orthophonie, Université du Québec à Trois-Rivières

Le casse-tête des modes de communication

Quel est le « meilleur » mode de communication pour l’enfant sourd ? Y a-t-il un « meilleur » mode de communication ? Que faut-il penser de ces citations contradictoires, tirées d’articles scientifiques ? « Tous les enfants sourds devraient apprendre les signes » ; « Il faut restreindre l’usage des signes avec les jeunes enfants qui reçoivent l’implant cochléaire ».

Le débat reste éternel. Et pour les parents, c’est souvent difficile de s’y retrouver. Plusieurs modes, approches, philosophies, moyens et langues existent – et plusieurs sont à la disposition des parents et des enfants du Québec. Tous ces moyens ont leurs adeptes et leurs détracteurs.

Dans cet article, nous allons aborder deux approches (ou modalités ou moyens) de communication : l’oral – souvent appelé oralisme –  et la communication totale; ce dernier terme tend d’ailleurs à disparaître pour être remplacé par communication bimodale. Nous allons voir pourquoi un peu plus loin.

Mais avant de commencer : tous les moyens, toutes les approches et toutes les philosophies demandent un investissement important de la part des parents. Bien sûr, tous les moyens de communiquer ont leurs avantages et leurs limites mais le principal « inconvénient » reste toujours l’énergie que les parents doivent investir dans le développement du langage de leur enfant sourd, et ce, peu importe ce qu’ils choisissent comme environnement de communication. De même, un dépistage précoce et un suivi régulier par des intervenants expérimentés en surdité sont toujours des conditions gagnantes pour un développement du langage le plus harmonieux possible.

L’approche orale

Elle est basée sur deux principes : 1) la majorité des enfants sourds ont certaines capacités auditives utilisables au quotidien, grâce aux prothèses auditives et aux implants cochléaires et 2) la majorité des enfants sourds peuvent utiliser leur vision pour améliorer le décodage des sons de la parole sur les lèvres de leur interlocuteur. Un parent qui utilise cette approche stimule le langage de son enfant sourd en lui parlant et en lui laissant voir sa bouche lorsqu’il parle. Il essaie de se placer à la hauteur de son enfant et de laisser son visage bien visible lorsqu’il lui parle. Ce même parent a aussi comme attente que son enfant apprenne à dire des sons et à parler (en utilisant son audition et sa vision).

Généralement, les adeptes de l’approche orale apprécient le fait que la communication est «naturelle» en ce sens qu’un parent entendant peut utiliser sa façon habituelle de communiquer au quotidien. Par contre, il ne faut pas oublier que dès que l’environnement de communication n’est pas optimal, à la fois pour l’audition (par exemple dans un endroit bruyant) ou pour la vision (par exemple dans un endroit avec un faible éclairage), des barrières de communication peuvent s’installer.

Il faut aussi savoir que tous les sons ne sont pas facilement « décodables » sur les lèvres : c’est pourquoi il existe une série de codes manuels que les parents peuvent apprendre et qu’ils peuvent utiliser pendant qu’ils parlent, pour aider leur enfant à mieux décoder visuellement les sons : c’est le Langage Parlé Complété (ou LPC). Cet outil peut être inclus dans une approche orale : certains centres de réadaptation et quelques écoles font du LPC avec les familles qui désirent l’apprendre et l’utiliser. Informez-vous. (Pour en savoir plus: cliquez ici)

La communication totale

Cette approche repose sur le principe que les enfants sourds devraient pouvoir accéder au langage (oral mais surtout écrit) à l’aide de tous les moyens possibles pour se développer harmonieusement et faciliter la communication. À la base, c’est une approche multisensorielle (c’est-à-dire qui utilise plusieurs sens) qui inclut plusieurs moyens et techniques : l’audition, la parole, les signes, les gestes, le mime, les images, la vibration, etc. Cette approche a d’abord été développée aux États-Unis dans les années 1960, alors que naissaient les mouvements en faveur de la reconnaissance des droits des minorités : on disait que les enfants sourds devaient fonctionner selon le mode qui leur convenait le mieux. Les « créateurs » de cette approche faisaient l’hypothèse que plus on augmente le nombre d’entrées pour stimuler le langage, plus on a de chances de développer de bonnes habiletés communicatives.

Par contre, on s’est aperçu que « trop, c’est comme pas assez » et que l’utilisation d’une trop grande quantité de moyens et de techniques pouvait surcharger les parents – et les enfants. De plus, lorsque des chercheurs voulaient mesurer l’efficacité de cette approche, ils s’apercevaient que l’un de ses avantages les plus reconnus soit la flexibilité, faisait en sorte que tout le monde l’utilisait de façon différente. Les différences dans les manières d’appliquer les approches au quotidien rendent l’évaluation de leur efficacité très difficile.

La communication bimodale

La communication totale, telle que développée à l’origine, a donc été graduellement mise de côté au profit de la communication bimodale (c’est-à-dire avec deux modes, l’oral et les signes). Le principe demeure le même, soit de développer une communication harmonieuse. Un parent qui utilise cette approche stimule le langage de son enfant sourd en lui parlant et en utilisant aussi des signes, de la façon la plus naturelle possible.

Ses adeptes apprécient le fait qu’il est possible, grâce à l’introduction de signes, de développer une base de communication rapidement et ce, de manière précoce. Cette manière de stimuler le langage en combinant l’oral et les signes est souvent proposée aux parents de jeunes enfants qui se dirigent vers l’implant cochléaire : plusieurs recherches disent en effet que l’accès précoce au langage par le biais des signes, peut faciliter l’accès au langage oral une fois qu’un appareillage auditif est installé. Informez-vous. Demandez à en savoir plus sur les recherches récentes. (De Quadros, Lillo-Martin & Pichler, 2015)

Conseils aux parents

Assurez-vous que vos intervenants ont des connaissances à jour sur le développement du langage chez les enfants sourds.

Mais comment choisir ? Sur quoi se baser ? Idéalement, ce choix serait le résultat d’un travail conjoint, d’une discussion ouverte entre les parents et leurs intervenants. Cela ne se fait pas en une semaine.

Quand vient le temps des choix, les parents peuvent utiliser les trois questions suivantes pour alimenter la discussion avec leurs intervenants :

  • Quels sont mes buts pour mon enfant ?
  • Quelles sont mes valeurs, mes croyances, comme parent ?
  • Quels besoins particuliers mon enfant a-t-il, qui devraient être considérés dans mes choix ?

Il n’y a pas de recette : chaque famille est unique, chaque enfant est unique.

Références :
de Quadros, R. M., Lillo-Martin, D., & Pichler, D. C. (2015). Bimodal bilingualism: Sign language and spoken language. The Oxford Handbook of Deaf Studies in Language, 181-196.
Crowe, K., McLeod, S., McKinnon, D.H., Ching, T. (2014). Speech, sign, or mutilingualism for children with hearing loss : quantitative insights into caregivers’ decision making. Language, Speech, and Hearing Services in Schools, 45, 234-247.

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Les conseils de l’AQEPA

Comment savoir quel mode de communication conviendra le mieux à mon enfant? Il n’y a pas de modèle préétabli, pas de recette magique : Chaque option présente des avantages… mais également des limites, et chaque enfant est différent, avec ses forces et ses capacités.

N’oubliez pas :

  • Il est essentiel de prendre le temps de s’informer pour avoir accès à une présentation complète et objective des différents modes de communication à envisager, leurs avantages et leurs limites : renseignez-vous, posez des questions aux professionnels, aux autres parents, …
  • Le choix vous revient : chaque situation familiale est unique. Vous devez vous engagez dans la voie qui semble la plus adaptée à votre vie, en fonction du profil de votre enfant, de votre contexte familial, des ressources disponibles dans votre région etc…). Faites-vous confiance !
  • Le différentes approches peuvent se compléter et que votre choix est évolutif : il peut changer au cours de la vie de votre enfant.

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