Extrait du numéro 217 de la revue Entendre « Trucs, astuces et nouveautés pour mieux communiquer »
Par Sophie Gareau, sa maman, membre de l’AQEPA Montréal Régional
C’est le 4 octobre 2012 que nous avons officiellement appris que notre fils, Auguste, alors âgé de 18 mois, avait une surdité profonde. Cela faisait bien longtemps que nous avions des doutes, mais il aura fallu 7 spécialistes avant qu’un diagnostic officiel se pose. Bien sûr, il y a eu le choc, mais aussi le soulagement ; avec un tel diagnostic il nous était maintenant possible d’avancer et d’apprendre à vivre avec cette nouvelle réalité. Par la suite, le cours des choses nous a mené aux implants cochléaires (IC) qui sont devenus la norme au Québec et qui, en temps normal, font de petites merveilles pour les enfants sourds.
Mais malheureusement, les IC n’ont pas donné de résultats pour Auguste, et c’est ainsi que nous avons appris qu’il n’avait pas de nerf auditif. Après un second deuil, nous avons pleinement accepté la surdité de notre fils dans nos vies, avec tous les défis qu’elle comporte mais aussi avec tous les bonheurs qu’elle nous apporte. La LSQ fait maintenant partie intégrante de nos vies et chaque jour nous tentons de nous améliorer afin de rester au même niveau qu’Auguste. Nous avons aussi fait la connaissance de dizaines de gens fabuleux et inspirants et découvert cette magnifique culture qu’est celle des Sourds.
Alors pourquoi choisir l’implant du tronc cérébral?
Sauf que voilà, à l’été de 2013, j’ai pris connaissance, via une vidéo sur Facebook, d’une intervention encore plus poussée que l’IC et encore non disponible pour les enfants au Canada : l’implant du tronc cérébral auditif (ABI). À priori, mon mari et moi étions très réticents à l’idée d’envisager une telle chirurgie, beaucoup plus risquée… C’était carrément une chirurgie du cerveau! Tous les spécialistes canadiens que nous avons rencontrés (et il y en a eu plusieurs!) nous répétaient la même chose : « pourquoi prendre un tel risque alors qu’à part sa surdité, votre fils est en parfaite santé? ». Mais nous avons décidé d’investiguer jusqu’au bout en allant à Los Angeles, où était pratiquée l’opération, afin de rencontrer une panoplie de chercheurs, neurologues, ORL, etc. dans le but de poser toutes nos questions et de prendre une décision éclairée. Que notre décision soit un oui ou un non, il fallait savoir exactement le pourquoi de notre réponse. Jusqu’à la dernière minute, j’ai personnellement voulu dire non à l’intervention mais mon instinct a fini par prendre le dessus et m’a fait dire oui, mon mari aussi. Ainsi nous nous sommes lancés dans la grande aventure qu’est celle du ABI.
La chirurgie
L’intervention chirurgicale a eu lieu au Children’s Hospital de Los Angeles dans le cadre d’un protocole de recherche du Keck School of Medicine de l’Université de Southern California. L’absence du nerf auditif étant très rare, les candidats éligibles à la chirurgie sont difficiles à trouver et c’est pour cette raison qu’Auguste s’est frayé une place dans un protocole américain. Ainsi, ce sont des fonds américains qui ont défrayés les frais de la chirurgie (qui coûte plusieurs centaines de milliers de dollars). En revanche, nous nous sommes engagés avec eux pour une période de 3 ans ce qui impliquait plusieurs voyages en Californie pour des suivis de toutes sortes. C’est grâce à une levée de fonds et à la générosité de nombreux donateurs que nous avons été en mesure de payer nos déplacements fréquents.
La chirurgie en tant que telle n’a pas été de tout repos et a même été terrifiante. Après 9 heures sous le bistouri et sous anesthésie, Auguste, qui avait pourtant bien réagi, a présenté le lendemain quelques petites complications post chirurgicales (fréquentes, selon nos recherches). Nous avons eu très peur mais au final, « tout est bien qui finit bien » et cette expérience n’est aujourd’hui qu’un mauvais souvenir.
Et aujourd’hui ?
C’était, il y a exactement 3 ans, en cette journée même où je vous écris, qu’Auguste et moi avons atterris à Los Angeles pour sa chirurgie. Le 12 juin prochain, cela fera exactement 3 ans que son petit appareil a été allumé et qu’il travaille très fort à « apprendre à entendre ». Trois ans plus tard, Auguste a fait un progrès remarquable considérant qu’il n’entendait absolument rien avant. Il est aujourd’hui capable de se bercer au son de la musique, de différencier dans le cadre de ses thérapies auditives, par exemple, le mot « chat » des mots « lapin » et « éléphant ». Il est même capable de détecter le vent dans les feuilles! Par contre, il ne parle pas et ne comprend pas vraiment ce que nous lui racontons. Les chercheurs qui s’intéressent à cette chirurgie et qui la documentent commencent à dire que ce qui prend 3 mois à apprendre avec un implant cochléaire pourrait prendre 3 ans avec un ABI… disons que l’écart est majeur! Nous parlons ici d’un travail de TRÈS longue haleine, avec tous les hauts et les bas que cela peut comporter et rien ne garantit qu’au final Auguste pourra comprendre ce qu’on lui raconte.
Un enfant épanoui
Mais ce qui est fabuleux et qui est une victoire pour nous, en tant que parents, c’est que nous avons outillé notre fils afin que son apprentissage du français, ainsi que la lecture labiale soient facilités grâce à son niveau de détection. De plus, nous pouvons aujourd’hui affirmer qu’il pourra, dans un avenir rapproché, entendre et comprendre la signification d’un klaxon d’une voiture dans la rue, de la sirène d’un camion de pompier, de la sonnette de la maison et, à plus long terme, nous lui souhaitons, des pleurs de ses enfants.
Malgré tout, c’est lui qui décidera, avec le temps, ce qu’il veut bien faire de ce petit outil que nous avons pris tant de peine à lui procurer.
Ce qui compte le plus pour nous c’est qu’Auguste soit et demeure un enfant épanoui, résilient, heureux et qui a confiance en lui parce que nous l’encourageons et le supportons tous les jours dans tout ce qu’il entreprend. Nous sommes fiers de lui et de ce qu’il est, peu importe l’issue de cette grande aventure. Ainsi, est-ce que nous regrettons notre décision ? Absolument pas !